Un petit village, perdu dans les plaines de Nui
La petite troupe de saltimbanques avait atteint la veille au soir un petit hameau paysan, niché tout près d'un gigantesque moulin dont les ailes battaient déjà dans la bise du petit matin. La brume recouvrait la plaine à perte de vue, le froid mordait la chair des habitants déjà éveillés et fit frissonner le jeune Rani des pieds à la tête. Tout du moins, le froid était une cause de son agitation : se trouver non loin de Bourg Fuguen ne le réjouissait pas du tout mais il devait suivre l'itinéraire rigoureux de la troupe, c'était ainsi.
Accompagné par ses lugubres pensées que la météo actuelle n'aidait pas à chasser ainsi que d'un luth, il se rendit près du grand feu de bois creusé au centre du village. C'était, semblait-il, un jour de réjouissance et le grand braséro devait avoir une signification, mais Rani ignorait laquelle et de toute façon, il ne chercherait pas à comprendre. Ils ne devaient pas rester ici très longtemps, deux ou trois jours tout au plus.
Il prit place sur une bûche équarrie pour servir de siège inconfortable et dans la fraîcheur cinglante du petit matin, commença à accorder son instrument. Ce temps n'était jamais clément envers les cordes chantantes qui devenaient bientôt grinçantes, réclamant ainsi l'attention de leur propriétaire.
Rapidement, par ses gestes précis et son oreille attentive, le barde termina sa tâche première et gratta les cordes un moment, le regard perdu dans le feu. Il éprouvait une certaine fascination pour ces flammes dansantes qui l'envoûtaient dès qu'il croisait leur regard. Peut-être était-ce son instinct animal ou peut-être juste qu'il aimait le feu, tout simplement.
Des petits lève-tôt passèrent à côté de Rani en gazouillant puis le dévorant des yeux, semblant attendre quelque chose. Le jeune homme leur rendit leur regard, interdit, puis comprit qu'ils voulaient de la musique. Jour de fête oblige, il fallait de la musique. Du moins c'était sa propre conception des célébrations heureuses.
Il débuta alors une comptine qu'il avait appris dans le Rhivarion, quand il était encore petit.
「
Un jahak chassait dans le désert.
Son maître l'y avait envoyé pour trouver de quoi subsister.
Quelle ne fut sa surprise quand un dragon en colère
Vint grogner parce que sa queue à terre
Venait d'être écrasée sans pitié.
Le jahak effrayé tremblait de tout son long
Lorsque, d'un coup, le dragon s'étendit
Et dans un souffle brûlant lui dit :
"Qui es-tu pour fouler mon corps sans raison ?" 」
Les enfants qui ne semblaient pas connaître la chanson le regardaient d'un air avide, curieux de savoir ce qui arrivait au jahak. Il leur conta la suite, révélant que la petite bestiole poilue, loin de se faire dévorer par le dragon, obtint son aide et put ramener du gibier à foison, grâce à la bête terrible qui était devenue son amie. Ce que Rani ne leur révéla pas, c'est que cette comptine était bien loin de la réalité et que les dragons des sables étaient des êtres impitoyables qui se contentaient de gober tout cru ce qui se présentaient à leur gueule plutôt que parlementer.