P
rofondément dans la forêt, je marchais isolée avec pour seul compagnon mon loup à mes côtés. Les quelques souvenirs des bois demeurant en moi ne me permettait pas de déterminer où me guidait mes pas et ainsi j'errais. Incertaine de l'issue d'une rencontre avec un Viridien lambda, à aucun instant je n'ai recherché un quelconque contact ou une quelconque indication. Je me plie à la volonté de Ni Ife et puisse-t-elle me conduire où bon lui semble, car ma destinée aujourd'hui comme demain sommeille entre ses mains.
Après de longues journées à piétiner l'herbe fraîche du Rhivarion, je me trouve enfin à la lisière du bois. Ah, quelle ironie. J'étouffe un éclat de rire nerveux dans le creux de ma main et lance une oeillade à mon compagnon qui pour toute réponse dresse ses oreilles sur son crâne. Distraitement, je laisse ma main se perdre dans sa pâle fourrure alors que je me perds dans la contemplation des immenses montagnes qui semblent se dessiner à l'horizon, l'air interdite. Ke'elawyr.
De tous les lieux où j'aurais pu être guidée, il a fallu que je me tienne là. Prise en étau entre de gigantesques monstres de pierre et une forêt des plus inhospitalière. Un long soupire réchauffe l'air contenu à l'intérieur de mon masque. Ayant nullement l'intention de traverser Ke'elawyr sans pour autant ressentir l'envie de retourner me perdre dans les bois, je juge qu'il est bon de faire une halte à la frontière entre les deux régions ennemies. D'une tape sur la cuisse, j'indique à Fem de me suivre et quitte la dense forêt pour ne trouver sur mon passage que quelques bosquets bien ridicules.
Si trop perdue dans mes pensées je ne m'aperçois de rien, mon compagnon lui, qui s'interrompt dans sa marche, m'indique que quelque chose se trame. Sans avoir le temps de lui souffler un ordre, il se détourne et file à une vitesse effarante près d'un regroupement d'arbres à la bien triste mine. Je trottine légèrement afin de le rejoindre, loin de m'imaginer le spectacle auquel j'allais assister.
Enfermée dans mon mutisme, j'observe de toute ma hauteur cet homme dans le plus simple appareil qui gît sur le sol à la fois rocailleux et verdoyant. Derrière mon masque, mes yeux papillonnent d'étonnement. Incapable de procéder à cette scène surréaliste, Fem me ramène à la réalité lorsqu'un grognement sourd se fait entendre. Retroussant ses lèvres, il laisse apparaître des canines prêtes à en faire pâlir plus d'un.
Cesse, j'ordonne alors froidement, accompagnant ma parole d'une fugace tape sur son museau. L'animal abaisse la tête puis tourne les talons pour finir par s'éloigner.
Maintenant seuls, je m'enquiers de retirer mon masque. Nu comme un nouveau né, je ne crains pas le moins du monde cet homme à qui je pourrais trancher la gorge plus vite qu'il n'en faut pour le dire et me moque de lui dévoiler mon visage. Je décroche mon masque de mon long manteau de fourrure, celui dans lequel je m'enroule à la nuit venue pour me prémunir du froid et après l'avoir posé à terre, je dépose la fourrure sur le corps de l'homme et demeure accroupie auprès de lui. Mon visage recueillis entre mes mains, je l'observe sans un mot. Je détaille son visage que je juge bien noble ou encore ses cheveux d'une brillance m'étant inconnue et qui, d'une certaine façon m'effraie.
Je glisse une main sur mon flanc de façon à ce qu'elle atteigne une bourse accrochée à ma ceinture. Je dénoue la corde et plonge ma main à l'intérieur pour attraper une poignée de baies cueillie durant mon passage dans le Rhivarion.
Tenez, prenez-les, je lance alors que je laisse couler de mes doigts les quelques baies glanées sur le sol face à lui.